Des expressions liées à l'agriculture ? Nous en employons à tout bout de champ.
Inutile d'en faire tout un foin, me direz-vous. Toutefois, avant que vous ne preniez la clef des champs, laissez-vous tenter par cette récolte d'expressions issues du monde agricole. Encore une fois, nous nous émerveillerons ensemble de la richesse de la langue française, terreau de locutions imagées et nous en prendrons de la graine pour enrichir notre vocabulaire.
Mettre la charrue avant les boeufs
Ce que pourrait faire un laboureur rêveur, en colère ou très mal réveillé. Au sens figuré, mettre la charrue avant les boeufs, c'est se tromper de priorité, aller trop vite et se retrouver dans une situation délicate faute d'avoir fait les choses dans le bon ordre. Mais le bon ordre est-il le même pour tous ? Vaste question.
À tout bout de champ
Cette expression évoque le dur travail du laboureur déplaçant sa charrue à travers tout le champ, d’un bout à l’autre. Des siècles passés à effectuer ce mouvement répétitif. Au XIVe siècle, l’expression existait déjà sous la forme à chascun bout de champ ; au XVIe siècle, on écrivait à tous bouts de champs et au XVIIe siècle, à chaque bout de champ. De l'espace au temps, il n'y avait qu'un sillon de plus à tracer,. Désormais, l'expression a le sens temporel de « tout le temps, à chaque instant ».
Chercher une aiguille dans une botte de foin
La botte de foin est préparée pour nourrir les animaux : cette herbe de fourrage est moissonnée quelques mois avant le blé que l'on enfermera, fraîchement récolté, dans des sacs cousus à l'aide d'une aiguille. Chercher cette dernière dans une botte de foin, c'est savoir que l'on voue sa recherche à l'échec. Celle ou celui qui emploie cette expression n'a généralement aucune intention de se lancer dans une telle aventure !
Bête à manger du foin
L'animal herbivore - j'ai nommé le mouton, l'âne, la vache ou le cheval - serait-il moins intelligent que le carnivore ? Au sens figuré, cette expression s'applique à quelqu'un que l'on trouve idiot.
Faire du foin / Faire tout un foin
Peut-être par allusion aux fêtes qui suivaient la fenaison, l'expression signifie « faire un scandale en exagérant l'affaire, protester bruyamment ».
Mettre sur la paille
La paille n'a pas le même prestige que le grain ou le foin mentionné plus haut. Souvent synonyme de déchet, elle constitue le matelas des animaux à l'étable. Pour un être humain, être sur la paille comme l'est l'animal signifie qu'il est descendu bien bas, qu'il se trouve sans ressources.
Un feu de paille
Le feu qui prend dans la paille s'éteint vite comme, au figuré, peuvent le faire les enthousiasmes rapidement disparus, les sentiments amoureux fugaces, passagers.
Un homme de paille
On pense à celui qui accompagne Dorothy dans Le Magicien d'Oz (The Wizard of Oz, 1939). Et ce personnage, à la fois gentil et simplet, rappelle qu'un des premiers sens figurés de l'expression homme de paille est « homme pauvre, homme à plaindre » . L'homme de paille - ou épouvantail - est censé protéger les champs des oiseaux, amateurs de graines et de plantes, en les épouvantant. Au figuré, il sert de prête-nom à une personne mal intentionnée qui, ainsi couverte, manoeuvre, sans risque de se faire prendre, dans une affaire douteuse qui lui rapportera sans doute beaucoup de blé !
C'est de la mauvaise graine !
La mauvaise graine, c'est l'enfant dont on ne présage rien de bon, qui risque de virer voyou. Rappelons, pour contrebalancer cette remarque de mauvais augure, que sans pour autant sombrer dans la délinquance, l'enfant peut monter en graine, c'est-à-dire grandir très vite, comme une plante se développe rapidement jusqu'à la production de ses graines. Sans doute a-t-il pour cela casser la graine, une façon plus familière de dire manger. En prendre de la graine, c'est prendre pour modèle, comme on prélève les graines sur une plante qui nous plaît pour en faire pousser de semblables.
Séparer le bon grain de l'ivraie
L'ivraie désigne une graminée à graines toxiques qui gêne la croissance des céréales dans les champs. Nous y reviendrons d'ailleurs dans le paragraphe suivant. La moissonneuse-batteuse ou, à l'ancienne, l'agriculteur à l'aide de son crible et de son van séparent les bons grains d'avoine, de seigle, d'orge, de froment, de blé des dangereux grains de l'ivraie. Le van est un panier à fond plat et large, muni de deux anses, qui sert à vanner les grains, c'est-à-dire à les nettoyer : pas étonnant que l'on se sente éreinté ou « vanné » après ce genre d'opération. Au sens figuré, séparer le bon grain de l'ivraie, c'est donc faire la différence entre les bons et les méchants. Épuisant !
Semer la zizanie
Les amateurs de bande dessinée savent que La Zizanie est le titre du quinzième album des aventures d'Astérix et Obélix, publié en 1970 par René Goscinny et Albert Uderzo. Jules César, pour se débarrasser une bonne fois pour toutes du petit village gaulois qui résiste encore et toujours à l'envahisseur, décide d'y envoyer Tullius Detritus, réputé pour semer la discorde partout où il passe.
Le mot zizanie vient du grec zizanion, l'ivraie mentionnée dans l'expression précédente. Cette graminée jugée néfaste pour les cultures, réputée chez les anciens comme dangereuse car pouvant créer une sorte d'ivresse lorsqu'elle était consommée, a été rendue célèbre par saint Matthieu dans les Évangiles (Mt 13, 24 - 30). Zizania, lit-on dans la version latine de la Bible. La parabole du bon grain et de l'ivraie raconte comment l'ennemi d'un paysan vient semer dans le champ de blé de ce dernier de la zizanie pour ruiner la récolte. Afin de ne pas la perdre, le paysan décide alors de laisser pousser les deux plantes afin de bien les distinguer, puis d'enlever l'ivraie à la main et de la brûler juste avant de moissonner. La signification de cette parabole ? Le paysan, c'est Dieu, le champ, le monde où bons et mauvais cohabitent, l'ennemi, c'est le diable. La moisson correspond au moment du jugement dernier où les justes seront sauvés tandis que les damnés (ceux qui sèment le zizanie) iront brûler dans les flammes de l'enfer. Voilà qui est dissuasif !
Être sous le joug
Pièce de harnachement qui permet à l'homme de faire travailler le boeuf ou le cheval dans son champ, le joug désigne au sens figuré la servitude. Mettre quelqu'un sous le joug, c'est le réduire en esclavage, le mettre à son service.
Labourer la mer
Cela vous tente d'essayer ? Peine bien inutile, puisque la tâche est impossible. Labourer la mer, c'est donc fournir des efforts vains.
Le poulailler
Lorsqu'il n'abrite pas les volailles, le poulailler désigne, dans les salles de théâtre, les rangs de sièges les plus élevés, des places peu confortables occupées par les spectateurs peu fortunés, se retrouvant ainsi juchés à l'étage comme les poules sur leur perchoir. Dans ce sens, l'optimiste appelle le poulailler le paradis, car il n'y voit que la position élevée qu'il y occupe. Heureux individu qui ne songe pas que sa place à l'étage révèle qu'il est sur la paille !
Prendre racine
Le souhait de tout agriculteur concernant ce qu'il sème ... Toutefois, il connaît aussi la difficulté à retirer une plante indésirable qui s'est enracinée. Au sens figuré, la personne qui prend racine n'est pas bienvenue : elle s'incruste alors que sa présence n'est pas désirée. De là à ce qu'elle répande la zizanie à l'endroit où elle s'est fixée, il n'y a pas loin !
Sillon
Le soc de la charrue ouvre une tranchée dans la terre. Il laisse une trace, la même que celle faite par un bateau à la surface de l'eau, par le temps sur un visage, par la rainure sur le disque vinyle, par une étoile filante dans le ciel étoilé. L'agriculteur, persévérant, trace son sillon comme telle ou tel qui agira dans la vie avec détermination, si bien que l'on aura envie de suivre son exemple, de marcher dans son sillon. Le poète, par métonymie (figure de style qui consiste à désigner une chose par une de ses caractéristiques) nomme sillons les champs cultivés. Ces belles lignes droites qui apparaissent au printemps, qui sautent aux yeux quand on prend de l'altitude faisant des paysages de campagnes de véritables damiers, souhaitons qu'aucun sang ne les abreuve !
Faire des coupes claires ou faire des coupes sombres ?
On se trompe souvent quand on emploie cette expression. Une coupe sombre d’ensemencement consiste, dans le domaine forestier (la sylviculture, voir l’article consacré au mot agriculteur), à enlever une petite partie des arbres pour que ceux qui restent ensemencent le sol de leurs graines. Le sous-bois et l’ombrage sont ainsi préservés. La coupe claire, au contraire, consiste à abattre la plupart des arbres pour ne conserver que les jeunes pousses et les habituer à la lumière. Au sens figuré, lorsque l'on veut parler d'une réduction importante effectuée dans un effectif ou dans un budget, il faut donc employer l'expression faire une coupe claire. Cet emploi est contre-intuitif, parce que l'adjectif sombre est connoté dans notre esprit péjorativement, alors que l'adjectif clair l’est positivement. C’est pourquoi certains dictionnaires admettent l’utilisation au sens négatif de l’expression faire une coupe sombre. À vous de voir si vous voulez employer l’expression avec son sens originel, et donc faire une coupe claire en cas de suppression massive, ou avec son sens revisité par le temps et l’erreur et vous autoriser la coupe sombre même en cas de réductions drastiques.
Laisser en friche ou mettre en jachère
Pour l'agriculteur, un terrain en friche est un sol abandonné, devenu stérile. Laisser quelque chose en friche consiste donc à ne pas l'exploiter, à ne rien en faire. Tel laissera ses talents en friche, tel autre un travail. La jachère est une terre labourable qui est mise temporairement au repos : il s'agit d'une décision de l'agriculteur qui ne lui fait pas porter de récolte pendant un certain temps. Anciennement, la jachère désignait une terre non ensemencée, soumise aux labours de printemps et d'été pour recevoir les semailles d'automne. Au sens figuré, laisser quelqu'un ou quelque chose en jachère, c'est le laisser en repos, ne pas en tirer parti. Les deux expressions ont donc sensiblement la même signification. Toutefois, la friche étant plutôt la conséquence d'un manque d'initiative ou de volonté, alors que la jachère est réfléchie, on peut introduire la même nuance de sens dans les deux expressions figurées et employer laisser en friche pour souligner le résultat, l'état total d'abandon et mettre en jachère quand on souhaite insister sur le gâchis des aptitudes, des qualités ainsi laissées inexploitées sciemment.
Battre la campagne
Cette expression rappelle le titre du recueil de poèmes de Raymond Queneau datant de 1968 ou bien le poème de Claude Roy publié dans Enfantasques en 1974 et que voici, pour le plaisir :
« Vous me copierez deux cents fois le verbe :
Je n’écoute pas. Je bats la campagne.
Je bats la campagne, tu bats la campagne,
Il bat la campagne à coups de bâton.
La campagne ? Pourquoi la battre ?
Elle ne m’a jamais rien fait.
C’est ma seule amie, la campagne,
Je baye aux corneilles, je cours la campagne.
Il ne faut jamais battre la campagne :
On pourrait casser un nid et ses œufs.
On pourrait briser un iris, une herbe,
On pourrait fêler le cristal de l’eau.
Je n’écouterai pas la leçon.
Je ne battrai pas la campagne. »
Pourquoi l'emploi du verbe battre dans cette expression ? Non pas avec l'idée d'abîmer la campagne comme le suggère le texte ci-dessus, mais pour l'explorer avec minutie, éventuellement à l'aide du bâton mentionné par Claude Roy, afin d'écarter les herbes et les branches, pour y retrouver une bête perdue ou un braconnier. Au sens figuré, l'expression s'applique à un individu qui semble fou, qui a l'esprit égaré.
Prendre la clé des champs
La clef (ou clé) - du latin clavis, qui a également donné le mot clavier - évoque immédiatement l'instinct humain de propriété. La clé se glisse dans la serrure de la porte qui sert à protéger notre espace. La campagne au contraire, du latin campus, désigne initialement la plaine, l’étendue ouverte sans limitations, sans clôtures. Prendre la clé des champs, c'est comme être propriétaire de sa propre liberté, aller selon son bon vouloir. L’expression peut contenir l’idée de fuite : prendre la clé des champs, détenir le moyen de pouvoir disparaître, de s’évanouir dans la nature.
Évitons que toutes les précisions apportées dans cet article ne soient qu'un feu de paille. Révisons grâce à ce questionnaire (ou quiz) : si vous avez bien lu l'article, vous n'aurez aucun mal à répondre (pensez à utiliser le bouton « pause » si besoin). Ainsi, moi à écrire cet article et vous à le lire, nous n'aurons pas labouré la mer ! Relevez le défi et amusez-vous !
Comments