Vous souvenez-vous de ce en quoi consistent les figures de style de la métaphore, de l'antithèse, du chiasme et de la gradation ? Oserez-vous pratiquer un des jeux d'écriture suggérés dans la deuxième partie et, pourquoi pas, publier votre texte ou vos textes dans la partie "Commentaires" pour le plaisir du partage ?
Une courte analyse de texte, l'identification des procédés de style utilisés et quelques exercices d'écriture pour les mettre en oeuvre : voici le programme réjouissant qui vous attend.
Remarque : si vous le souhaitez, vous pouvez écouter la version enregistrée de cet article grâce au podcast « Les mots, les remèdes » en cliquant sur le lecteur ci-dessous. L'ensemble des épisodes est disponible dans la rubrique « Podcast » du menu ou bien ici.
Vous pouvez mêler les deux approches : lecture de l'article, écoute de l'épisode du podcast, ensemble, l'un après l'autre, comme bon vous semble.
Vous avez du style ou comment l'antithèse, la métaphore, le chiasme et la gradation vont vous aider à améliorer votre expression
Quelques citations pour nous inspirer, susciter notre réflexion et nous permettre de réviser certaines figures de style.
Figures de style : procédés par lesquels on agit sur les mots afin de traduire de manière efficace et originale une idée, une émotion.
Il fallait commencer par citer Jean de La Fontaine (1621 - 1695), évidemment : « Je me sers d’animaux pour instruire les hommes ».
Ici, animaux et hommes s’opposent dans une ANTITHÈSE (du grec anti, « contre » et thesis, « action de poser ») qui rend la phrase efficace, courte et frappante à la fois. Un bon résumé du principe des fables dont je reparlerai dans la rubrique suivante.
« Chaque animal n’est qu’un paquet de joie » (André Gide, 1869 -1951).
Une MÉTAPHORE intéressante et dont on pourrait discuter. Le mot joie est choisi par l’auteur (plutôt que bonheur par exemple) pour exprimer le fait que l’animal vit des moments de plaisir courts et intenses, directement liés à la satisfaction d’un désir. Le mot paquet sous-entend que ces joies se transportent avec l’animal au gré de ses déplacements et qu’il en éprouve en quantités.
« L’animal fait un avec la nature. L’homme fait deux. Pour passer de l’inconscience passive à la conscience interrogative, il a fallu ce schisme, ce divorce, il a fallu cet arrachement. (...) Animal avant l’arrachement, homme après lui ? Des animaux dé- naturés, voilà ce que nous sommes » (Vercors ,1902 - 1991, Les Animaux dénaturés).
On identifie une ANTITHÈSE au début de la phrase (un /deux) dans l’exposé de la théorie sur le lien avec la nature qui distinguerait l ‘homme de l’animal. Le CHIASME (du grec chiasmos, « disposition en forme de croix ») au début de la deuxième phrase repose sur l'opposition croisée entre inconscience et conscience et entre passive et interrogative. Enfin, une GRADATION (du latin gratio, « gradin », de gradus, « le pas ») structure l'ensemble de la phrase, les termes schisme, divorce, arrachement étant des synonymes mais de plus en plus forts dans l’idée de séparation.
Vous souveniez-vous de ces figures de style ? Les avez-vous identifiées dans ces extraits ?
Quelques exercices d'écriture ?
Voici à présent quelques jeux d’écriture. Ils s'appuient sur les remarques faites
précédemment.
1. Rédigez votre définition de l'animal
Quelle serait votre définition de l’animal ? Pourquoi ne pas essayer de la formuler dans un texte de votre invention en employant une ou plusieurs des figures de style relevées plus haut ?
Vous pouvez écrire votre définition sans souci de la formulation dans un premier temps, puis retravailler vos phrases (ou votre phrase) en essayant d'y insérer les figures mentionnées. Vous constaterez alors la force qu'elles donnent à un texte.
Afin de vous encourager, j'ai réfléchi à ce que seraient mes propres définitions de l'animal. Chacune utilise une des figures analysées précédemment :
- avec une antithèse : « L'animal est tout instant, l'homme toute projection ».
- avec un chiasme : « La nature fait face à l'homme, alors que l'animal est en elle ».
- avec une gradation : « L'animal mange, se repose, s'active, souffre, aime ».
- en enchaînant les métaphores : « L'animal est un homme curieux sans ambition, aimant sans passion, cruel sans but, courageux sans gloire, inventif sans projet ».
À vous de jouer. Vous pouvez bien sûr laisser vos trouvailles en commentaire afin que nous les partagions.
2. Trouver des sources d'inspiration chez Jean de La Fontaine
Parler « fables », cela s'imposait. Les fables de Jean de La Fontaine (1621 - 1695), pour la plupart, mettent en scène des animaux. Quelques idées pour réécrire ces fables selon votre fantaisie. Elles sont une source inépuisable de variantes. Vous connaissez peut-être une ou plusieurs des fables que je vais mentionner - qui plus est, par coeur -, sinon il est très facile par le biais d'un livre ou d'internet d'en trouver quelques-unes.
1re proposition :
Réécrivez une fable existante en inversant les rôles.
Voici quelques exemples conçus par des auteurs reconnus :
a) Henri Richer (1685 - 1748) écrit au début de sa fable « Le Corbeau et le Renard » :
« Maître Corbeau, voyant Maître Renard
Qui mangeait un morceau de lard
Lui dit: « Que tiens-tu là, compère?
Selon moi, c’est un mauvais plat.
Je te croyais le goût plus délicat.
Quand tu veux faire bonne chère,
T’en tenir à du lard ! Regarde ces canards,
Ces poulets qui fuient leur mère ;
Voilà le vrai gibier de messieurs les renards.
As-tu perdu ton antique prouesse?
Je t’ai vu cependant jadis un maître escroc.
Crois-moi ; laisse ton lard ; ces poulets te font hoc,
Si tu veux employer le quart de ton adresse. »
Premier exemple où l'on voit l'inversion des rôles du corbeau et du renard.
Remarque : « ces poulets te font hoc » veut dire « ces poulets te conviennent ».
b) Jean-Luc Moreau, dans son recueil Poèmes de la souris verte publié en 1992, écrit dans la fable « Le Renard et le corbeau ou si l'on préfère la (fausse) poire et le (vrai) fromage » :
« Or donc, Maître Corbeau, Sur son arbre perché, se disait : "Quel dommage Qu'un fromage aussi beau, Qu'un aussi beau fromage Soit plein de vers et sente si mauvais.
Tiens ! voilà le renard : je vais, Lui qui me prend pour une poire, Lui jouer, le cher ange, un tour de ma façon. Ça lui servira de leçon ! " Passons sur les détails, vous connaissez l'histoire Le discours que le renard tient, Le corbeau qui ne répond rien (Tant il rigole !), Bref, le fromage dégringole... Depuis, le renard n'est pas bien ; Il est malade comme un chien. »
2e proposition :
Réécrivez la fable de votre choix en adoptant la méthode S + 7 ( S pour « substantif », c'est-à-dire « nom »). C'est une méthode mise au point par l'écrivain Raymond Queneau. Elle consiste à remplacer chaque nom dans un texte connu par un autre nom trouvé sept places plus loin dans le dictionnaire. Pour que l'exercice fonctionne et soit drôle, il faut que chaque mot remplacé le soit par un mot de la même nature (ou classe grammaticale), un nom par un nom, un verbe par un verbe, un adjectif par un adjectif, etc.
Raymond Queneau revisite « La Cigale et la Fourmi » de cette façon, la cigale devenant la
« cimaise » (nom trouvé dans le dictionnaire sept places plus loin) et la fourmi la « fraction » :
« La cimaise ayant chaponné
Tout l’éternueur
Se tuba fort dépurative
Quand la bixacée fut verdie :
Pas un sexué pétrographique morio
De moufette ou de verrat.
Elle alla crocher frange
Chez la fraction sa volcanique
La processionnant de lui primer
Quelque gramen pour succomber
Jusqu’à la salanque nucléaire.
"Je vous peinerai, lui discorda-t-elle,
Avant l’apanage, folâtrerie d’Annamite !
Interlocutoire et priodonte."
La fraction n’est pas prévisible :
C’est là son moléculaire défi.
"Que ferriez-vous au tendon cher ?
Discorda-t-elle à cette énarthrose.
- Nuncupation et joyau à tout vendeur,
Je chaponnais, ne vous déploie.
- Vous chaponniez ? J’en suis fort alarmante.
Eh bien ! débagoulez maintenant". »
S'il vous prend l'envie d'essayer, vous constaterez que l'exercice est très drôle. Par exemple, la fable « Le Loup et l'agneau » se transforme en « La Loupiote et l'Agonie » ; « Le Lièvre et la Tortue » devient « La Ligature et le Toto ». À vous d'en trouver d'autres et d'écrire toute une fable selon ce procédé si le coeur vous en dit.
3e proposition :
Réécrivez une fable existante pour faire passer un message : un comportement de vie à défendre (l'entraide, la sauvegarde de l’environnement, le partage, la solidarité, la lecture, …) ; un point à critiquer (la maltraitance des animaux, la violence, les dangers de la vitesse, …).
Reprenons l'exemple des dangers de la vitesse. Elle fait tout de suite penser à la fable « Le Lièvre et la Tortue » à réarranger selon votre envie. Mais il est aussi possible d'imaginer une tout autre fable avec d'autres animaux. Autre possibilité encore : aller piocher l'inspiration dans la fable « Le Lièvre et la Tortue », mais en l'adaptant en fonction des nouveaux animaux choisis. À vous de jouer !
4e proposition :
Imaginez une suite à une fable existante.
Voici deux exemples puisés dans l'ouvrage de Gudule, Après vous, M.de La Fontaine ... Contrefables, édité pour la première fois en 1995. La suite de « Le Corbeau et le Renard » d'abord :
« Le corbeau, honteux et confus, Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus !
Ayant un long moment médité l’aventure Le Corbeau s’envola, avec l’espoir ténu De dénicher dans la nature Quelque chiche aliment à mettre à son menu. Il scrutait la forêt, sous lui, lorsque soudain Des coups de fusil retentissent. Renard, surpris en plein festin, Lâche son camembert et dans un trou se glisse. "Oh oh ! dit Corbeau, l’occasion est trop belle !" Sur le fromage, il fond à tire-d’aile Et dans les airs l’emporte sans tarder. Juste à temps ! La main sur la gâchette Cherchant à repérer de Goupil la cachette Apparaît l’homme armé. Mais du gibier qu’il traque il ne trouve point trace : Bredouille, le chasseur abandonne la chasse. Par son larcin, Corbeau, sans le savoir, A sauvé la vie du fuyard. Tout penaud, le Renard sort alors de son antre Et devant le Corbeau qui se remplit le ventre Constate en soupirant : "Je vais jeûner, ce soir !" Mais l’autre calmement descend de son perchoir Et posant sur le sol ce qui reste du mets Invite son compère à se joindre au banquet. "Tu es rusé, dit-il, et moi je fends l’espace, Ensemble nous formons un duo efficace. Plutôt que de chercher l’un l’autre à nous voler Pourquoi ne pas nous entraider ?" Honteux et confus, le Renard De la proposition admit le bien-fondé, Jurant, mais un peu tard, D’exercer désormais la solidarité. »
La suite de « La Cigale et la Fourmi » à présent :
« Tournant le dos à sa voisine avare
La tête basse et l'estomac dans les talons
La cigale s'en fut en traînant sa guitare
À travers hameaux et vallons.
La neige recouvrit bientôt les feuilles mortes.
Mais la déshéritée eut beau frapper aux portes
Supplier haut et fort
Qu'on daignât lui jeter un peu de nourriture,
Rien n'y fit. Malgré la froidure
Tous l'abandonnent à son sort.
"Il ne me reste plus qu'à attendre la mort !"
Se désole la malheureuse, "mais avant
Je veux, dans un dernier effort
Arracher à mon instrument
Ses plus pathétiques accords.
Cet ultime concert sera mon testament."
Et voilà que s'élève au coeur de la tourmente
Une plainte si émouvante
Si belle, si sauvage et si triste à la fois
Qu'elle tire tous les bourgeois
De leur léthargie égoïste.
L'un d'eux sort de chez lui, criant : "Bravo l'artiste !"
Un à un, ô merveille,
S'ouvrent les huis ; l'on prête oreille
Au chant de la cigale.
On écoute, on s'émeut, on pleure, on se régale,
Et les sous de pleuvoir,
Preuve qu'on apprécie un si beau désespoir.
Quand avec apparat la misère s'exprime
Elle acquiert du public les faveurs unanimes :
Gosier mélodieux n'implore pas en vain.
Mais il est tant de gens qui ne savent pas geindre
Qu'on ne devine pas, en croisant leur chemin,
Qu'ils sont seuls, démunis, qu'ils ont froid, qu'ils ont faim.
Les pauvres sans talent sont bien les plus à plaindre ! »
5e proposition :
Réécrivez une fable en changeant de niveau de langue : employez un vocabulaire familier, de l'argot, du verlan, du patois ou utilisez au contraire un niveau de langue soutenu.
Pierre Perret a ainsi pastiché plusieurs fables de La Fontaine dans un album sorti en 1995, Pierre Perret chante vingt fables inspirées de Jean de La Fontaine. Voici la fin de la version
« façon Pierrot » de « La Cigale et la fourmi » :
« – Que faisiez-vous l’été dernier ?
– Je chantais sans penser au pèze.
– Vous chantiez grattos pauvre niaise ?
A présent vous pouvez guincher !
Moralité :
Si tu veux vivre de chansons
Avec moins de bas que de haut
N’oublie jamais cette leçon :
Il vaut mieux être imprésario »
Dans le recueil Le Petit Perret des fables, publié chez J-C.Lattès en 1990, on peut trouver les pastiches de Pierre Perret illustrés par des images créées sur ordinateur.
Autre exemple pris dans Le Verlan des oiseaux de Michel Besnier, ouvrage publié chez Motus en 2004. Vous reconnaîtrez le début de la fable intitulée « Le Héron » :
« Un jour, sur ses longs pieds, allait je ne sais où,
Le héron au long keb emmanché d'un long ouc.
Il côtoyait une rivière.
L'onde était transparente ainsi qu'aux plus beaux jours ;
Ma reméco la pecar y faisait mille tours
Avec le chébro son repécon. » 6e proposition :
Transportez les personnages d’une fable dans une époque moderne.
Dans le texte qui suit, Françoise Sagan imagine la cigale et la fourmi en pleine période des soldes :
« La fourmi ayant stocké tout l’hiver
Se trouva fort encombrée
Quand le soleil fut venu :
Qui lui prendrait ses morceaux
De mouches ou de vermisseaux ?
Elle tenta de démarcher
Chez la cigale sa voisine,
La poussant à s’acheter
Quelques grains pour subsister
Jusqu’à la saison prochaine.
"Vous me paierez, lui dit -elle,
Après l’oût, foi d’animal,
Intérêt et principal."
La cigale n’est pas gourmande :
C’est là son moindre défaut.
"Que faisiez -vous au temps froid ?
Dit -elle à cette amasseuse.
- Nuit et jour à tout venant
Je stockais, ne vous déplaise.
- Vous stockiez ? j’en suis fort aise ;
Et bien soldez maintenant." »
La Cigale et la Fourmi, trente versions inédites, 1989
7e proposition :
Mélangez plusieurs fables connues.
Imaginez par exemple que, pendant la course du lièvre et de la tortue, le lièvre qui flâne en profite pour sauver l'agneau des crocs du loup et que la tortue, sur sa route, croise le héron au long bec emmanché d'un long cou ; ou bien que le renard, après avoir subtilisé habilement son fromage au corbeau, se le fait lui-même voler par la cigale, obligée de recourir à ce stratagème après s'être vue refuser son aide par la fourmi.
Il y a beaucoup de possiblités de mélanges.
8e proposition :
Réécrivez une fable en imaginant qu’un des animaux change d’attitude : le loup ne veut plus manger l’agneau mais le protéger ; le lièvre ne veut plus faire la course avec la tortue mais se promener à son rythme ; le renard ne veut plus manger le fromage du corbeau mais le partager avec lui.
Andrée Chedid, dans son recueil Fêtes et Lubies, publié en 1996, imagine le revirement complet de la fourmi, mais aussi ... de la cigale :
La Fourmi et la Cigale
« Fini, fini ! »,
Dit la Fourmi.
« Au diable, la parcimonie !
Dès aujourd’hui
Je convie
Toutes cigales affranchies
À me chanter leurs mélodies,
Et nous fêterons, en compagnie,
La vie qui bouge,
La vie qui fuit ! »
« Holà, holà ! »,
Fit la Cigale
Poussant un cri très vertical.
« Pour moi, adieu le carnaval !
L’hiver, l’hiver m’a tant appris,
Et le souci tant rétrécie,
Que j’ai rangé toutes mes rêveries
Pour m’établir
En Bourgeoisie ! »
9e proposition :
Illustrez une morale existante par une fable inventée.
Quelques phrases de moralités connues : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point »,
« Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute », « Patience et longueur de temps font mieux que force ni que rage »... Créez la fable qui précède la morale choisie par vos soins : elle sera toute différente de celle de La Fontaine.
10e proposition :
Écrivez une fable.
Les deux seules consignes :
mettez en scène des animaux ;
terminez (ou commencez) votre récit par une morale.
Prêt-e à vous lancer dans un ou plusieurs de ces exercices, peut-être dès potron-minet ou bien entre chien et loup ?
J’espère que ces exercices vous ont inspiré.e. Pour celles et ceux qui pratiquent déjà l’écriture, ils peuvent servir d’éléments déclencheurs (on se retrouve parfois interdit devant sa page blanche ou son écran et ce genre d’exercices peut servir à se libérer) ; ils peuvent également vous permettre de faire vos gammes avant de vous attaquer au «gros morceau ». Si vous n’êtes pas habitué.e à ce genre de jeu, je vous incite à tenter l’expérience. C’est un moment de détente, de découverte de soi, d’amusement, d’évasion, et même de partage si vous écrivez à plusieurs ou si vous lisez vos textes. C’est aussi un excellent moyen d’améliorer son expression écrite : cette intimité avec les mots donne confiance, apporte de l’aisance dans le maniement du vocabulaire et la formulation des phrases. Qui sait, peut-être y prendrez-vous goût et vous lancerez-vous dans une écriture plus longue.
Belle séance d'écriture !
Si vous désirez vous livrer à d'autres jeux d'écriture : essayez ceux-ci à partir du mot "hiver".
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