Citrouilles, courges, potirons et autres cucurbitacées ornent actuellement les étals des marchands. Peut-être avez-vous un jardin dans lequel ces fruits offrent actuellement leurs rondeurs appétissantes. En outre, sensibles à ces festivités ou pas, nous ne pouvons ignorer l'approche de la fête d’Halloween ! Or, comment imaginer ce moment de réjouissance sans le fruit orangé dont il sera bientôt fait lanternes, soupes et même tartes si vous souhaitez respecter la tradition américaine ?
Vous l'avez deviné, le mot du jour sera le mot citrouille. Avez-vous déjà réfléchi à son origine et fait le rapprochement entre citrouille et citron, ou bien - plus étonnant encore - entre citrouille et cèdre ? Faites-vous la différence entre citrouille et potiron ? Que savez-vous d'Halloween et de ses origines ? Dans votre imaginaire, la citrouille se transforme-t-elle toujours en carrosse ou fait-elle l'objet d'autres métamorphoses inspirées par telle ou telle oeuvre d'art de votre connaissance ? Avez-vous déjà pratiqué la litote ou la gradation ?
J'ai un mot à vous dire ou comment tout savoir sur l'origine du mot citrouille
Le mot citrouille a la même origine que les mots cèdre, genévrier et citron.
Pour nous remettre de notre étonnement et comprendre cette affiliation, il faut retourner au grec kedros qui évolue sous les formes latines cedrus , le cèdre, le genévrier et citrus, le thuya, le cédratier (gros citronnier sauvage dont le fruit est le cédrat). Le terme latin citrium désigne donc le cédrat, puis le citron.
Origine commune, mais évolution bien différente car quoi d'identique entre ces deux
arbres : le cèdre (du grec kedros) et le cédratier (du latin citrus) ?
Mais revenons à notre citrouille. Nous y sommes presque : le latin citrium devient en latin vulgaire (ou populaire) citriolum , en passant par l'italien cetriolo, puis citrullo. Il désigne une variété de citrouille à peau jaune, comme le citron. Son appellation repose sur une analogie de couleur. Elle est métaphorique : eh oui, la terre est bleue comme une orange et la citrouille est jaune comme un citron, tenons-nous-le pour dit !
kedros en grec, « le cèdre » > cedrus en latin, « le cèdre » et « le genévrier » > citrus en latin, « le thuya » et « le cédratier » > citrium, « le cédrat » , « le citron » > citriolum, en latin populaire, « la citrouille » (par analogie de couleur)
Le mot français citrouille est attesté dès le XIIIè siècle. On le trouve sous les formes citrulle ou citrole dans certaines régions de France, mais dans ce cas, ce n'est pour désigner la citrouille que l'on connaît aujourd'hui : cette dernière vient d'Amérique. La vraie citrouille fut en effet domestiquée dans le nord du Mexique par les Amérindiens il y a dix mille ans environ.
Les Européens découvrent la citrouille à l'occasion des grandes expéditions vers le Nouveau Monde au XVIè siècle. Jacques Cartier, lorsqu'il arrive au Québec en 1535, prend les champs de citrouille pour des melons. Ce serait l'explorateur espagnol Alvar Nunez Cabeza de Vaca qui aurait rapporté des graines de citrouille de Floride en Europe en 1528.
Citrouille ou potiron ? Tout savoir pour ne plus jamais les confondre.
La vraie citrouille (de l'espèce Cucurbita pepo) fait partie de la famille des cucurbitacées. Elle est de la même sous-espèce que les courgettes, la courge patidou, le pâtisson et la courge spaghetti.
Le potiron fait également partie de la famille des cucurbitacées, mais il est de l'espèce Cucurbita maxima : on le confond souvent avec la citrouille.
La citrouille est généralement ronde et orange, alors que le potiron a une forme plus aplatie, sa couleur pouvant aller du orange au vert en passant par le rouge et le jaune. La distinction se fait nettement au niveau du pédoncule : celui de la citrouille est rugueux et fibreux, ses angles sont bien marqués, avec plusieurs faces distinctes et il ne présente pas de renflement au niveau de la base ; celui du potiron est tendre au toucher, sa forme est plus cylindrique, élargie à la base, avec des bords nettement moins marqués.
Potiron et citrouille sont des fruits puisqu'ils contiennent des graines. Ces dernières sont d'ailleurs comestibles : elles se consomment grillées. Avec ces deux cucurbitacées, on peut donc faire des gâteaux, des tartes, des flans, des confitures. La tarte à la citrouille - avec de la crème fouettée - est un dessert traditionnel du Thanksgiving américain.
Toutefois, en Europe, on les cuisine plutôt comme des légumes en potage, purée, gratin.
La chair du potiron est plus sucrée, plus douce. L'onctuosité d'une soupe de potiron parsemée de gruyère râpé et consommée avec une tranche de pain aillée n'a pas sa pareille. En revanche, si vous fêtez Halloween, je vous conseille de creuser vos lanternes dans des citrouilles dont la chair est moins compacte et moins épaisse que celle du potiron, donc plus facile à travailler.
Les citrouilles pèsent habituellement aux alentours de 5 kg, mais elles peuvent atteindre des tailles considérables, ce qui donne parfois lieu à des concours de la plus grosse citrouille dans certaines régions. En Vendée par exemple, il existe depuis 1995 un concours national des fruits et légumes géants, à La Roche-sur-Yon, avec une fête de la citrouille. Le dernier record mondial de taille connu date de 2016 lors du championnat européen de la citrouille géante qui se déroulait en Allemagne : la plus grosse, d'origine belge, pesait 1190 kg !
Ne rien avoir dans la citrouille, c'est être étourdi.
Avoir la tête comme une citrouille s'emploie lorsque l'on a la migraine.
On peut traiter de vieille ou pauvre citrouille quelqu'un que l'on juge incapable.
Dans un sens familier, le terme citrouille désigne la « tête » de quelqu'un au même titre que les mots calebasse, chou, coloquinte, melon, pêche, poire, pomme, prune pour rester dans le domaine alimentaire.
Dans le calendrier républicain, la Citrouille était le nom attribué au 17e jour du mois de vendémiaire, l'équivalent du 8 octobre.
Citrouille, Halloween, Toussaint, Jack-o'-Lantern, Amérique et Irlande.
Difficile, lorsque l'on évoque la citrouille, de ne pas songer désormais à la fête d'Halloween dont elle est devenue un emblème. Revenons sur cette tradition quelques instants. Halloween est la contraction de All Hallow Even ou Eve qui signifie « la veille de tous les saints » ou « la veillée de la Toussaint ». En effet, les Anglais désignent la Toussaint (1er novembre) par deux expressions : All Saint's Say ou All Hallow's Day. Hallow a la même origine que holy, « jour saint » qui, par extension, qualifie un jour férié, de vacances, holyday. Eh oui, les étymologies de toutes les langues sont passionnantes ...
Le mot Halloween a certes, dans sa formation même, un lien avec la fête catholique de la Toussaint, mais l'événement lui-même est d'origine celtique. Il correspondait dans cette civilisation à la fin de l'année, au moment des récoltes, de l'arrivée de l'hiver. Une espèce de saint Sylvestre gaélique. On dansait, mangeait, festoyait en l'honneur des esprits des morts. Les fantômes rendaient visite aux vivants. Pour les apaiser, on leur faisait des offrandes. Pendant des siècles, les Irlandais conservèrent la tradition de cette fête. Un conte irlandais rapporte que Jack-o'-Lantern (« Jack à la lanterne »), ayant trompé plusieurs fois le diable durant sa vie d'escroc ivrogne, se vit, à sa mort, refuser l'entrée au paradis comme en enfer. Il fut condamné à errer sans but avec une lanterne, taillée dans un navet. Les émigrés irlandais, qui implantèrent la tradition de Halloween aux États-Unis au XIXè siècle, remplacèrent le navet par la citrouille : évidée et sculptée pour obtenir une tête grimaçante, une bougie allumée à l’intérieur, elle éloigne les mauvais esprits. On sait comment la fête a, depuis plusieurs années maintenant, traversé à nouveau l'Atlantique pour se réimplanter en Europe.
Suffixe : groupe de lettres que l'on ajoute à la fin d'un radical pour former un nouveau mot appelé dérivé.
Finissons ce chapitre par un commentaire sur le suffixe - ouille (attention, suffixe à manier avec précaution !). Il s'ajoute à la fin de radicaux pour leur ajouter une note populaire voire argotique, diminutive ou plaisante. Le terme fripouille, par exemple, est formé à partir du radical fripe (vieux vêtement) : il désigne un escroc ; dans le mot grenouille, le suffixe ajoute une idée de petitesse : « la petite rana » (rana, « grenouille » en latin) ; concernant le mot citrouille, on peut le considérer comme valorisant : le « beau, gros fruit jaune comme un cédrat ou un citron ».
Vous avez du style ou comment la métaphore, la gradation, la litote et la comparaison vont vous aider à améliorer votre expression
Voici quelques citations tournant autour du mot citrouille :
« L'égoïsme, ce gros ventru, cette citrouille qui prend toute la plate-bande » (Jules Barbey d’Aurevilly, Les Ridicules du temps, 1883).
Dans cette phrase, l'auteur définit l'égoïsme à l'aide d'images. C'est une attitude qui consiste à ne laisser la place pour personne d'autre que soi. Afin d'insister sur le caractère exclusif de l'égoïsme, l'auteur emploie des MÉTAPHORES et une GRADATION.
La MÉTAPHORE (du grec metaphora, « transposition de sens ») est une comparaison qui n'utilise pas de terme comparatif du type comme, tel que, pareil à, etc. Pour montrer que l'égoïste prend toute la place sans se soucier des autres, Barbey d'Aurevilly le compare à quelqu'un de volumineux : l'égoïsme est comme un gros ventru, comme une grosse citrouille. L'expression gros ventru est d'ailleurs un pléonasme (le fait de dire deux fois la même chose en ajoutant un élément inutile : descendre en bas, un bip sonore, ... ) : être ventru, c'est déjà être gros. Quant à notre citrouille, l'auteur la choisit car elle occupe facilement un mètre carré au sol, voire bien davantage. Pour cette raison, on l'installe souvent près du compost qu'elle camoufle rapidement en poussant.
Métaphore : comparaison sans outil de comparaison (comme, tel que, pareil à, ressembler à, ...). Par exemple : « Nos deux coeurs sont deux vastes flambeaux / Qui réfléchiront leurs propres lumières » (Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, « La Mort des amants », 1857).
La GRADATION (du latin gradatio, dérivé de gradus, « le pas ») consiste en une succession de termes classés par ordre d'intensité. Le ventru prend déjà beaucoup de place, la citrouille plus encore.
Pratiquons dors et déjà un exercice d'écriture. En effet, nous pourrions poursuivre la gradation imaginée par Jules Barbey d’Aurevilly : « ..., ce centre commercial qui occupe des champs entiers, cette baleine qui envahit l'espace marin, cette montagne qui barre tout l'horizon ». Et vous, qu'ajouteriez-vous ?
Gradation : liste de termes classés par ordre croissant ou décroissant d'intensité. Par exemple : « Va, cours, vole et nous venge » (Pierre Corneille, Le Cid, 1637).
« Il y a des jours où les citrouilles ne sont que des citrouilles » (Martine et Philippe Delerm, Fragiles, 2010).
Voici une jolie LITOTE, figure de style qui consiste à dire le moins pour exprimer le plus, comme dans le célèbre exemple littéraire issu du Cid de Pierre Corneille, 1637, la réplique de Chimène à Rodrigue « Va, je ne te hais point » qui signifie en vérité qu'elle l'aime.
Dans la citation de Martine et Philippe Delerm, les auteurs font bien sûr allusion à la citrouille de Cendrillon qui se transforme en carrosse, signifiant qu'il y a des jours fastes, magiques et d'autres beaucoup plus mornes où les citrouilles ne se métamorphosent en rien.
Litote : figure de style qui consiste à dire moins pour faire comprendre plus. Par exemple, Éponine à Marius : « Et puis, tenez, monsieur Marius, je crois que j'étais un peu amoureuse de vous » (Victor Hugo, Les Misérables, 1862).
« L’humanité ressemble aux tiges des citrouilles : si on creuse le sol, la tige est unique »
(proverbe malgache).
On identifie une COMPARAISON dans cette phrase rapprochant l'humanité et les tiges de citrouille à l'aide du terme comparatif ressemble. À la surface, les tiges des citrouilles peuvent courir sur des mètres, mais dans le sous-sol, la tige maîtresse est unique. De la même façon, il y a bien des femmes et des hommes sur cette terre, mais leur origine est la même. Je ne peux résister à l'envie d'ajouter que pour les mots, c'est pareil : une variété et une quantité inouïes de mots, mais lorsque l'on remonte aux origines, la fameuse étymologie, un « pot commun » que l'on pourrait appeler l'indo-européen par exemple. Or les mots ne sont que le reflet de l'humanité qui les utilise.
Un petit exercice d'écriture ?
À votre tour, choisissez un thème qui vous intéresse et vous motive. Et, puisque vous en avez certainement dans la citrouille (si je puis me permettre), parlez-en dans une ou plusieurs phrases qui contiendront une métaphore, une gradation, une litote et une comparaison (dans l’ordre que vous souhaitez évidemment).
Un exemple de mon cru pour vous encourager : « La lecture, ce déplacement qui ne nécessite pas de moyens de locomotion, ce grand voyage parfaitement immobile, ce périple aux multiples étapes qui ne laisse transparaître aucun signe extérieur de sa richesse. La lecture n'est vraiment pas une aventure déplaisante. Elle est comme une téléportation : on ne bouge pas de son fauteuil, mais quel dépaysement, quelles découvertes, quels étonnements, quelles interrogations, quel vertige elle suscite en nous emmenant dans un monde autre. Un monde autre que l'on fait sien si la téléportation est réussie. »
A vous de jouer.
Les arts se prélassent ou comment raviver sa culture générale
Voici quelques suggestions d'oeuvres à découvrir ou à revisiter à l'occasion de notre cheminement parmi les plants de citrouilles.
La citrouille, Halloween ou les cucurbitacées en général évoquent-ils pour vous des livres, des chansons ou des musiques, des films, des oeuvres d'art en particulier ?
En littérature :
La première œuvre connue mentionnant une citrouille est L'Apoloquintose ou Transformation de l'empereur Claude en citrouille, œuvre satirique latine attribuée à Sénèque, vers 55 de notre ère. La citrouille mentionnée dans ce texte est probablement une coloquinte.
En 1678, la fable de Jean de La Fontaine « Le gland et la citrouille » veut démontrer que
« Dieu fait bien ce qu’il fait » : si la citrouille avait poussé dans les arbres, sa chute en eût été plus dangereuse que celle d’un gland.
En 1697, Charles Perrault écrit Cendrillon, conte dans lequel une citrouille est évidée et transformée en carrosse pour emmener la jeune fille au bal. De grands artistes illustrèrent ce célèbre récit, notamment Gustave Doré, Arthur Rackham ou Henri Thiriet.
La citrouille apparaît également dans les premières bandes dessinées, notamment dans les œuvres de Benjamin Rabier. (Références littéraires trouvées sur le blog Gallica, « La citrouille, reine d'Halloween »).
Des films :
Si vous appréciez les comédies musicales, Vicente Minelli a réalisé en 1944 Le Chant du Missouri (Meet me in St.Louis) avec Judy Garland : 1903, la ville de Saint Louis dans le Missouri prépare l'Exposition universelle ; l'histoire de la famille Smith s'organise au fil des saisons ; vient le soir d'Halloween où la plus jeune des soeurs va vivre un grand moment de plaisir et d'effroi mêlés.
Plus récemment au cinéma, Tim Burton a remis la citrouille à l'honneur dans L'Étrange Noël de monsieur Jack (The Nightmare Before Christmas), 1993 : le personnage principal du film, Jack Sellington, un épouvantail inspiré par la figure de Jack O'Lantern, cherche à importer la fête de Noël dans le village d'Halloween.
Des œuvres d’art :
Nature morte à la citrouille, 1851, de François Bonvin, peintre de genre et de nature morte réputé au XIXè siècle (1817 - 1887) ; Nature morte aux oeufs et la citrouille, 1853, par Eugène Boudin (1824- 1898), peintre de marines, précurseur de l'impressionnisme ; La Nature morte avec citrouille, peinte en 1939 par André Derain (1880 - 1954), l'un des fondateurs du fauvisme ; les citrouilles sculptées par l'artiste contemporaine japonaise Yayoi Kusama, née en 1929.
Des musiques, des chansons :
Certaines comptines pour enfants ont pour thème la citrouille ; la chanson de Jean-Patrick Capdevielle, « Halloween, Halloween », 1983 ; la chanson d'« Halloween » composée et interprétée par Jacques Higelin dans son album Amor doloroso sorti en 2006.
À vous de compléter la liste.
La semaine prochaine : un bonbon ou un sort ? Un délicieux bonbon lexical, stylistique et artistique évidemment : grâce à un nouveau mot !
Nous sommes désormais des spécialistes de la citrouille ! Nous connaissons son étymologie, son histoire, son rôle durant la fête d'Halloween.
Nous avons pu passer du couteau nécessaire pour creuser les cucurbitacées décoratives à notre stylo ou notre clavier pour pratiquer la comparaison, la métaphore, la gradation et la litote.
La citrouille a même sa place dans de nombreuses oeuvres d'art qui ont souvent un lien avec la métamorphose, la sorcellerie, l'automne, le monde nocturne.
Si vous songez à d'autres références ou remarques concernant ce fruit étonnant, laissez un commentaire en bas de page.
À la semaine prochaine pour une nouvelle exploration linguistique, stylistique et artistique.
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