Le but de cet article ? Vous vendre du rêve ? Vous en faire rêver la nuit ? Non, son ambition est plus modeste, plus réaliste, plus terre à terre (quoi que ...) : voyager ensemble, le temps de quelques paragraphes, au pays du mot rêve, un jeune mot qui n'est apparu qu'au XVIIè siècle, supplantant le terme songe utilisé jusqu'à cette date pour qualifier cette activité psychique étroitement liée au monde de l'imaginaire.
Alors, êtes-vous plutôt songe ou plutôt rêve ? Êtes-vous un rêveur ? Souhaitez-vous découvrir pourquoi le mot rêve lui-même peut être qualifié de « mot rêvé » ? Connaissez-vous le sens de l'expression faire endêver ? D'ailleurs, combien d'expressions contenant le nom rêve ou le verbe rêver seriez-vous capable de citer ?
Toutes les réponses à ces questions figurent dans l'article qui suit : c'est le rêve non ?
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J'ai un mot à vous dire ou comment tout savoir sur l'origine du mot rêve
Il n’y a pas de certitude sur l’origine du mot rêve. Le mot rêve est, en quelque sorte, un mot rêvé, un mot apparu d’on ne sait où, un mot né de l’imagination fertile de nos ancêtres.
Le nom rêve est un déverbal*, c’est-à-dire qu’il est formé à partir du verbe rêver. C’est un jeune mot qui n’est apparu qu’au XVIIè siècle, supplantant peu à peu le mot songe dans l’usage. Cela n’a pas été le cas dans d’autres langues romanes où le songe a tenu bon, si je puis dire, où le terme rêve se traduit donc toujours par un mot de la même origine que le terme songe : sueno en espagnol, sogno en italien, sonhe en portugais.
Déverbal : mot formé à partir du radical du verbe. Exemples de déverbaux : le nom marche vient du verbe marcher, le nom amas vient du verbe amasser, le nom appel du verbe appeler, etc.
Mais revenons à notre « rêve français ». Le verbe rêver dont il est issu s’écrivait resver au Moyen Âge, peut-être formé sur esver, « vagabonder », à rapprocher du verbe desver, « être fou, perdre la raison ». En effet, celui qui erre, le vagabond, a-t-il toute sa tête ?
Le mot resver vient-il du bas latin re-ex-vagare, issu de vagus, « errant » ? Ou bien de re-evadere, « s’échapper », et donc « s’échapper de la réalité par l’imagination » ? Le verbe latin re-evadere est formé à partir du verbe latin evadere qui s’appuie lui-même sur vadere,
« aller, s’avancer ». D'ailleurs le nom latin vadum a donné le gué en français, l’endroit peu profond d’une rivière où l’on peut s’avancer sans nager. Et vous, parvenez-vous à traverser à sec au milieu de toutes ces suppositions ou nagez-vous complètement ?
Le verbe rêver vient peut-être de : - reexvagare, « errer, vagabonder » ; - reevadere, « s'échapper (de la réalité) ».
Une chose est sûre, ces précisions permettent de comprendre à quel point l'origine du mot rêve est obscure. Un cauchemar ? Peut-être pas à ce point-là ! Toutefois, l'étymologie de ce terme reste encore très discutée aujourd'hui. Les spécialistes n’ont pas de réponse définitive, car l’évolution du mot ne correspond pas à la logique habituelle. En somme, le mot rêve a fait cogiter et rêver plus d’un linguiste !
Le mot rêve : significations, famille, expressions, synonymes, antonymes
Les différents sens du verbe rêver :
En ancien français, resver a deux sens parallèles : d'une part, « vagabonder physiquement » et, plus précisément, au moment du carnaval, « se promener déguisé » ; d'autre part,
« délirer à cause d’une maladie », « radoter ». À la Renaissance apparaît l’idée de tromperie : faire resver, c’est induire en erreur. À la même période se développe le sens d’ « être absorbé dans des pensées vagues », un sens péjoratif dans ce cas. Toutefois, on trouve déjà chez des auteurs comme Montaigne le sens moderne de « se livrer à une activité psychique non soumise à l’attention » sans signification négative. Enfin, à partir du XVIIè siècle, le verbe, qui peut encore signifier « délirer », désigne aussi le fait de penser, réfléchir, comme dans un songe, s’absorber dans un sujet ; désirer fortement ; et même, faire des songes en dormant.
Rêver à, c’est penser, songer de jour. Par exemple : « Nous rêvons à ce voyage ». Rêver de, c’est voir en rêve, plutôt en dormant. Par exemple : « J’ai rêvé de toi cette nuit ». L’expression rêver de s’emploie également pour signifier que l’on désire fortement quelque chose : « Nous rêvons d’un avenir meilleur ». La forme transitive directe (c’est-à-dire sans préposition après le verbe, « rêver quelque chose ») existe au sens littéraire de « voir en rêve, penser dans sa rêverie » (« Il vaut mieux rêver sa vie que la vivre », Marcel Proust, 1871 - 1922), ou bien au sens de « voir en dormant » (« Nous avons rêvé la même chose ») ou bien encore « imaginer de toutes pièces » : « Il l’a rêvé : je n’ai jamais dit ça ! ».
Aujourd’hui, rêver, c’est faire des rêves pendant son sommeil, laisser aller son imagination, imaginer ce qu’il y a de plus beau, croire à l’impossible. Les Québécois disent qu’une personne rêve en couleurs quand elle fait des projets chimériques, déraisonnables.
Quelles nuances entre le rêve et le songe ?
Nous l’avons précisé plus haut, le mot rêve n’est apparu que tardivement, au XVIIè siècle, supplantant le mot songe qui avait lui-même évincé le terme pantais (« rêve, inquiétude, trouble ») issu du verbe médiéval pantaisier, « palpiter, frémir, haleter ». Vous le devinez, de cette famille, il nous est resté l’adjectif pantois.
Quelles nuances entre le rêve et le songe ? Le songe fait plus sérieux. Il possède une valeur prémonitoire, religieuse que n’a pas forcément le rêve. Dans la mythologie, les Songes sont des Divinités qui sortent des enfers et apportent aux hommes des images véridiques ou trompeuses. L’ouvrage d'Artémidore d'Éphèse (IIè siècle avant notre ère), L’Onirocriticon, est un recueil de plus de trois mille rêves et de leur interprétation, collectés par l'auteur auprès de mages et de devins. Cet ouvrage fascina tout le Moyen-Âge sous le titre de Clé des songes. C'est, depuis, le titre de nombreux ouvrages prétendant expliquer le sens des rêves. Le songe a une dimension littéraire forte : citons Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare ou le Songe d’Athalie chez Jean Racine. Le rêve paraît spontanément plus léger, plus fantaisiste.
Les différentes significations du mot rêve :
Le rêve, c’est, au XVIIè siècle, une combinaison de faits imaginaires se présentant pendant le sommeil ; puis au XVIIIè, un projet chimérique, une idée sans fondement ; enfin, au XIXè, le rêve désigne également ce qu’une personne se représente par l’imagination, ce à quoi, peut-être, elle aspire de toutes ses forces.
Chez les Anciens, le rêve est un message divin ou, pour Aristote ou pour Platon, un phénomène physiologique. Il devient un argument pour mettre en cause la fiabilité des perceptions chez certains penseurs du XVIIè et du XVIIIè siècle. Durant le siècle des Lumières, il se met à désigner aussi une construction de l’imagination à l’état de veille, de façon péjorative pour un Voltaire par exemple ou, au contraire méliorative chez un Rousseau qui ouvre la porte aux préromantiques. Ce n’est qu’au XXè siècle que l’on fait une différence entre le rêve comme immédiate activité psychique du dormeur et le rêve comme l’ensemble des souvenirs de la personne qui a dormi. Sigmund Freud a, bien sûr, ouvert la voie à l’analyse des rêves dans ce sens. Les surréalistes en ont fait une thématique littéraire et artistique.
De la même famille que le mot rêve ?
La rêverie, le verbe rêvasser, le nom rêveur, l’adverbe rêveusement.
La rêverie désigne, en ancien français, le fait de se livrer à des ébats tumultueux, ou bien un moment de réjouissance. Du Moyen Âge à l’époque classique, une rêverie qualifie également un état de délire, de fureur, d’entêtement forcené, mais aussi, par métonymie*, une chose trompeuse. Faire une rêverie, c’est concevoir une idée étrange. Le sens moderne d’une pensée qui s’abandonne à des images vagues, d’une pensée qui erre sans objet précis apparaît au XVIIIè siècle avec un auteur comme Jean-Jacques Rousseau et ses Rêveries du promeneur solitaire, 1776- 1778.
Métonymie : procédé de style qui consiste à remplacer un mot par un autre, les deux termes ayant un rapport de contiguïté (l'effet pour la cause, la partie pour le tout, lien de ressemblance, ...)
Exemple : « être fou » (la cause) devient « mentir » (l'effet : le fou dit n'importe quoi)
Le verbe rêvasser est formé à l’aide du suffixe péjoratif* -asser ( comme dans bavasser, jacasser, etc.). Ce mot a donc un sens souvent négatif. On reproche à la personne qui rêvasse son inactivité, sa distraction, son air absent.
Suffixe péjoratif : groupe de lettres placé après le radical pour former un nouveau mot (appelé dérivé) et donnant une connotation négative à ce dérivé (-asser, -âtrer, -arder)
Le rêveur est un rôdeur au Moyen Âge, un coureur de jupons, un vagabond déguisé pour le carnaval. Il en était question en début d’article. Au XVIè siècle, le rêveur délire, radote : c’est un idiot qui poursuit des chimères. La signification moderne apparaît dès le XVIIè siècle avec l’idée, à cette époque, que celui qui rêve semble ailleurs par tristesse, par mélancolie. Ce peut être encore le cas aujourd’hui, mais il y a bien d’autres raisons d’être un rêveur. Le rêveur peut être un artiste, un imaginatif, un lunaire, un utopiste, un perplexe, un distrait, un passif, …
Le verbe endêver, formé sur l’ancien français desver, « perdre le sens, vagabonder », existe toujours mais est peu employé. L’expression faire endêver signifie « mettre en colère ». Et si nous la remettions au goût du jour ?
Faire endêver, « mettre en colère », une expression à remettre au goût du jour
Évidemment, si l’on retient l’origine latine ex-vagare pour le mot rêve, les termes extravagant, extravaguer, divaguer, vague et vagabond seraient de la même famille.
Des expressions contenant le mot rêve ?
Dans tes rêves, demi-rêve, doux rêves, fais de beaux rêves, en rêve, rêve !, une créature de rêve, c’est le rêve, c’était son rêve de …, même pas en rêve, le rêve américain, vendre du rêve, un rêve de gloire / d’amour / de fortune, …
Expressions auxquelles on peut ajouter quelques-unes de celles qui contiennent le verbe rêver plutôt que le nom rêve : Je rêve ! , tu rêves!, en rêver la nuit, on croit rêver, rêver éveillé, (il ne) faut pas rêver, …
Synonymes et antonymes du mot rêve :
Songe, rêverie, chimère, utopie, illusion, fantasme, vision, ambition, hallucination, désir, onirisme, aspiration, etc. : les synonymes* du mot rêve sont innombrables.
Et concernant les antonymes* ? Le rêve peut s’opposer à l’action, à la réalité, au réel, à la vérité. Le cauchemar est à la fois son antonyme et l’un de ses synonymes : en effet, un cauchemar n’est autre qu’un mauvais rêve. Plus fort encore, le terme rêve peut être son propre antonyme puisque le rêve en tant que « désir qui souhaite se réaliser » peut s’opposer au rêve au sens d’« illusion ».
Exemple :
« Tu es le rêve de ma vie !
- En rêve ! »
Synonyme : mot de même sens qu'un autre Antonyme : mot de sens contraire à un autre
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